Vertiges et vision et motricité binoculaire

Les êtres humains disposent de deux yeux, d’un large champ visuel et de la capacité à percevoir la profondeur. Cette organisation binoculaire guide nos gestes, nos déplacements et participe à la stabilité du corps. Lorsque cette coordination se dérègle — défauts de vergence, strabisme, troubles vestibulaires, difficulté à évaluer la profondeur — les conséquences sur l’équilibre et la motricité fine se font sentir. Chez les personnes âgées, une grande partie des chutes résulte d’erreurs d’estimation de distance.
La vision n’est pourtant pas un simple sens : c’est un système moteur, animé par des mouvements oculaires incessants. Chaque jour, nous réalisons plus de 100 000 saccades, vergences et ajustements accommodatifs, combinés à des mouvements vestibulo-oculaires liés aux mouvements de la tête et/ou du corps. Ce système travaille comme une unité cohérente afin de stabiliser l’image et d’interagir efficacement avec l’environnement tridimensionnel.
La recherche a démontré depuis 40 ans que les réflexes vestibulo-oculaires translationnels ou rotationnels — qui stabilisent la vision lorsque la tête ou le corps bouge — sont modulés par la profondeur et par les mouvements de vergence. Fixer un objet proche ou lointain modifie instantanément la réponse vestibulo-oculaire. Notre stabilité dépend donc d’une agilité permanente entre la motricité binoculaire et le système vestibulaire.
Aujourd’hui, les plaintes de vertiges, de malaise visuel et d’instabilité posturale se multiplient, chez les adultes comme chez les enfants. Le mode de vie sédentaire, l’usage prolongé des écrans et la réduction des explorations naturelles en profondeur contribuent vraisemblablement à fragiliser ces mécanismes d’ajustement réciproque et intégratif. Beaucoup de patients présentant des troubles vestibulaires et des vertiges semblent avoir une difficulté à moduler correctement leurs réponses de vergence en fonction des distances.
L’aspect essentiel, mais encore sous-estimé, concerne la binocularité des mouvements vestibulo-oculaires eux memes. Pour garantir une vision stable, les deux yeux doivent bouger ensemble, de manière précise et dynamique. La moindre dissociation crée des erreurs d’ajustement de l’angle des axes optiques qui amplifient l’instabilité visuelle et corporelle. Ainsi, toute rééducation vestibulaire et de l’équilibre devrait intégrer la qualité de la coordi nation motrice binoculaire.
Les recherches menées dans le cadre du CNRS ont montré que les vergences binoculaires sont systématiquement déficientes en cas de vestibulopathies, car la vergence a une base vestibulaire et réciproquement la fonction vestibuoloculaire est imbriquée avec la vergence. (3,4. D’autres études ont montré qu’une dynamisation des vergences par neuro-entraînement améliore la posture (voir références 6,7,8, 5). L’interdisciplinarité et l’intégration sont la seule voie pour mieux soigner. Sur la base des recherches du CNRS, des protocoles innovants de prise en charge, brevetés par le CNRS, sont maintenant disponibles et confirmés par des études cliniques récentes (voir brevet et publications [1, 2]).
Pourtant, les pratiques actuelles reflètent une forte segmentation. Les consultations vestibulaires ignorent souvent les troubles de la binocularité. Les professionnels de la vision, eux, s’appuient généralement sur des évaluations sensorielles sans mesure de la vélocité et de la coordination binoculaire des mouvements visuo-vestibulaires.
Quant aux outils courants — écrans, VR/AR, dispositifs limités à une seule distance — ils reproduisent rarement des conditions naturelles et peuvent créer des incohérences sensorimotrices.
Face à ces limites, un changement de paradigme s’impose : revenir à une approche physiologique, écologique et intégrative, capable de mesurer et d’entraîner les mouvements binoculaires visuo-vestibulaires en direction et en profondeur, dans des conditions réalistes, avec ou sans mouvement de tête.
Ces avancées ouvrent la voie à une prise en charge plus globale, fondée sur la physiologie, et capable de répondre aux défis croissants des vertiges, de l’instabilité et des troubles sensorimoteurs.

Enregistrement visuo-vestibulaire binoculaire passif avec REMOB&AIDEAL : les phases rapides ou lentes du reflexe vision vestibulaire sont moins amples pour l’oeil gauche ! Une vision floue et double résulte.
* Pour en savoir d’avantage sur la fonction visuo-vestibulaire binoculaire (comment la mesurer et comment la rééduquer ) : des webinaire à venir avec Z.Kapoula seront bientôt proposés.
Références :
1.
Kapoula Z, Ganesan Aakash, Guèrin Rémi, Bauwens A, Martiat B, Leonard V. “Lasting Deficiencies in Vergence Eye Movements in Patients with Peripheral or Central Vertigo: Improvements After Four Sessions of REMOBI Neurotraining and Associated Functional Benefits.” Brain Sciences, 2024; 14(11): 1131.
2.
den Dunnen J, Bauwens A, Versfeld NJ, Goderie T. Post-COVID-19 dizziness associated with a patulous eustachian tube. BMJ Case Rep. 2025 Jun 24;18(6):e265008
3.
Kapoula Z, Gaertner C, Yang Q, Denise P, Toupet M. Vergence and Standing Balance in Subjects with Idiopathic Bilateral Loss of Vestibular Function. PLoS ONE. 2013;8(6):e66652.
4.
Bucci MP, Kapoula Z, Bui-Quoc E, Bouet A, Wiener-Vacher S. Saccades and Vergence Performance in a Population of Children with Vertigo and Clinically Assessed Abnormal Vergence Capabilities. PLoS ONE. 2011;8:e23125.
5.
Delfosse G, Brémond-Gignac D, Kapoula Z. Postural Patterns of Subjects with Vergence Disorders: Impact of Orthoptic Re-education, a Pilot Study. British and Irish Orthoptic Journal. 2018;14(1):64–70.
6.
Kapoula Z, Morize A, Daniel F, Jonqua F, Orssaud C, Brémond-Gignac D. Objective Evaluation of Vergence Disorders and a Research-Based Novel Method for Vergence Rehabilitation. Translational Vision Science & Technology. 2016;5(2):8..
7.
Morize A, Kapoula Z. Reeducation of Vergence Dynamics Improves Postural Control. Neuroscience Letters. 2017;656:22–30. doi:10.1016/j.neulet.2017.07.025.
8.
Morize A, Brémond-Gignac D, Daniel F, Kapoula Z. Effects of Pure Vergence Training on Initiation and Binocular Coordination of Saccades.Investigative Ophthalmology & Visual Science. 2017;58(1):329–342.